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Les pénuries de semiconducteurs vont être douloureuses mais ponctuelles

Filière électronique>Semiconducteurs>Achats>Monde>Conjoncture>
27/04/2011 12:08:38 :

La réaction des acheteurs à l'annonce des pénuries de semiconducteurs suite au drame japonais a varié entre « gardons raison » et « sécurisons un maximum par prudence » - C'est toutefois la seconde catégorie d'acheteurs, attisée par des revendeurs mourant d'envie d'augmenter leurs prix et de spéculer qui ont pris le dessus - Nous sommes ainsi entrés dans une nouvelle bulle teintée de craintes de pénurie souvent justifiées, dont il est difficile, à ce stade, de deviner l'évolution dans les mois qui viennent : beaucoup sera affaire de psychologie et de propagation de bruits, vrais ou faux…
 
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par Jean-Pierre Della Mussia.

Revenons donc au faits, certains peu rassurants, certes, mais peut-être pas autant que certains vendeurs voudraient nous le faire croire.

Où en étions-nous donc de la précédente pénurie de semiconducteurs au moment du drame japonais, le 11 mars dernier ?

Bien que tous les journaux, en février dernier, ne relayaient encore que des informations sur les pénuries en cours, dans les faits, ces dernières se raréfiaient. En janvier, les acheteurs avaient été heureux de recevoir les pièces qu'ils avaient commandées pour se protéger de la pénurie et étaient donc encore globalement en phase de reconstitution de stocks. Le mois de janvier s'est ainsi révélé être un bon mois pour les ventes mondiales de semiconducteurs par rapport aux normales saisonnières. Mais les usines les plus avancés ne tournaient déjà plus à saturation totale (TSMC est revenu à un taux de 97 %). En février, toujours globalement, les acheteurs sont passés à la phase suivante : « les stocks coûtent cher ; il faut les réduire » ; ils ont donc commandé moins. Répercussion immédiate sur le marché des semiconducteurs : sur les 10 dernières années, les ventes de février se sont révélées 6 % supérieures à celle de janvier. Cette année elles ont été de 2 % inférieures. Un tel écart ne peut pas relever du hasard. Normalement, en mars, le déstockage aurait dû s'accélérer et des premières baisses de prix auraient même pu apparaître. Mais le 11 mars, le drame japonais a totalement changé la donne. Moins de trois jours après sont apparus les premiers signes d'un nouveau retournement: les grands consommateurs, les premiers à déstocker fin 2010, se sont mis à restocker tous azimuts. Il faut dire qu’étaient annoncées de nombreuses pénuries de matériaux nécessaires à la fabrication aussi bien de certains passifs que des semiconducteurs, sans que l'on sache très bien quand elles pourraient prendre fin. Des hausses de prix sont apparues dans la foulée au niveau de la distribution.

Une bulle se forme
Les distributeurs et autres intermédiaires profitent en effet des incertitudes actuelles pour inciter leurs clients à restocker et pour augmenter leurs prix. Pour l'instant, seuls des retards de livraison sont annoncés et non des allocations (toute la chaîne logistique s'est fait surprendre). Mais si les commandes augmentent trop, ces allocations pourraient revenir : l'industrie du semiconducteur ne peut encaisser actuellement sur plus d'un mois que 3 à 5% de commandes en plus grand maximum pour les circuits avancés (nous avons longuement expliqué pourquoi cette marge de manœuvre resterait faible en 2011 dans notre édition du 16 novembre 2010).

Certitudes et incertitudes
Quatre types d'usines d'électronique ont été touchées par le drame du Japon : celles qui produisent des matériaux pour les composants, celles qui fabriquent des composants, celles qui font des sous-ensembles, et celles spécialisées dans les produits finis. Parmi les fournisseurs de semiconducteurs qui nous concernent le plus, sont touchés des fabricants de circuits standard, circuits que l'on peut trouver en seconde source (ex : mémoires flash), mais aussi des fabricants de circuits dédiés ou propriétaires tels ceux de Freescale ou Renesas (le problème des passifs a été abordé dans notre édition de mardi). Freescale disposait en zone très touchée d'une vieille usine six pouces qui devait fermer six mois après avoir constitué des stocks de circuits pour la maintenance, essentiellement à destination du marché automobile. Devant l'étendue des dégâts, la société a décidé de ne pas réouvrir l'usine et de faire fabriquer les pièces prévues à partir d'autres sites. Pour Renesas, et en particulier ses microcontrôleurs, le problème est très préoccupant et va fatalement conduire à des difficultés chez les clients : Renesas fournit en effet environ 30 % du marché mondial des microcontrôleurs et l'usine de Naka qui est la plus concernée fournit 20 % de tous les microcontrôleurs pour l'automobile. Or cette usine ne pourra pas recommencer à livrer avant fin septembre, au mieux. (Début de production annoncé vers le 15 juin, puis deux mois de temps de fabrication des premières puces, plus un mois pour leur assemblage. On ne devrait apprendre que mi-mai quand la capacité de production retrouvera son niveau normal). Parallèlement, Renesas a transféré à l'industrie de la fonderie la fabrication de certains circuits (non révélés) début avril. Mais cette démarche implique des requalifications, nécessairement longues.

Deuxième type d'usines touchées par le drame, celui des sous-ensembles tels ceux fabriqués par Rohm pour l'industrie automobile par exemple. Ces sous-ensembles sont toutefois presque toujours dédiés à un client ; nous n'avons que peu d'informations sur l'impact global du problème, d'autant que ces sous-ensembles sont principalement consommés par l'industrie japonaise, essentiellement automobile et grand public. (Des annonces sur des blocages de production d’automobiles au Japon ne cessent toutefois de tomber).

Troisième type d'usines touchées, celle des produits finis, principalement grand public (téléviseurs, appareils photo…). Là, l'impact du drame a un effet inverse sur le marché mondial de l'électronique puisque ces usines ne commandent plus de composants, ce qui libère d'autant les volumes à livrer aux autres. Notons toutefois que les fabrications japonaises sur le sol japonais ne concernent plus que des produits hauts de gamme et que les volumes de composants standards concernés ne représentent qu'une petite partie du marché mondial.

Des matériaux stratégiques en pénurie
Reste le problème le plus stratégique, celui des matériaux qui entrent dans la fabrication des composants. Le problème est stratégique car sans matériaux, pas de composants. Or il y avait beaucoup d'usines de matériaux dans la région touchée par le drame. Malgré notre volonté de faire un point crédible, force est de reconnaître que les informations se suivent et ne se ressemblent pas toujours, ce qui est déstabilisant. Il est sûr, tout de même, que beaucoup de problèmes sont déjà résolus ou en voie de résolution. Des usines redémarrent ; des secondes sources augmentent leur production ; des produits de substitution sont adoptés, malheureusement au prix de requalifications de composants, ce qui demande du temps. Restent deux problèmes graves, celui d'un matériau fourni en grande majorité par Mitsubishi pour de très nombreux substrats travaillant en haute fréquence, en particulier des supports de circuits intégrés, et celui, majeur, des tranches de silicium nues fournies aux fabricants de semiconducteurs.

Il y a trois semaines, Mitsubishi avait fait comprendre que sa production allait redémarrer fin avril. Mais il y a dix jours, Kinsus, fabricant de substrats haute fréquence pour circuits intégrés, annonçait qu'il n'arriverait plus à fournir la demande vers la troisième semaine de mai du fait de cette pénurie. Apparemment, Qualcomm, client de Kinsus, a réussi à sécuriser ses approvisionnements, mais des produits haut de gamme d'AMD, NVIDIA, Altera et Xilinx pourraient être impactés. (Mitsubishi annonce maintenant une reprise de ses livraisons début juin).

Encore plus grave est le problème des tranches de silicium, car une usine de Shin Etsu, qui assurait à elle seule 20 % de la production mondiale de tranches, a été détruite. Avec les usines de Sumco et MEMC, également touchées, c'est 30 % de la production mondiale de tranches qui a été supprimée du jour au lendemain. Le problème est devenu de plus en plus angoissant jusqu'à ce que les intéressés annoncent des dates de redémarrage de production. Le 12 avril, Sumco a annoncé le redémarrage de sa production de lingots de silicium monocristallin et MEMC un redémarrage de production à la fois de lingots et de tranches, avec un retour à la normale planifié pour la mi-mai. Shin Etsu a de son côté annoncé le 11 avril un début de redémarrage « proche ». Les spécialistes s'attendent ainsi à un retour à la normale pour début juin.

Cela sera-t-il suffisant pour éviter des blocages de production de semi-conducteurs ? Très certainement, heureusement : en 2010, l'industrie des tranches a accru sa production de 40 % alors que la demande s'est accrue de 30 % environ. Donc non seulement il existait début 2011 un bon mois de stocks, mais la capacité de production mondiale « normale » était de 10 % supérieure aux besoins. Cette industrie va ainsi produire de mars à juin 20 % de moins que la demande (30 % de capacité détruite -10 % de réserves de capacité), soit 60 % d'une production mensuelle mondiale en cumulé sur trois mois. Les stocks étant de un mois, il ne devrait donc pas y avoir de tensions sur les approvisionnements, du moins globalement. Ponctuellement, si une usine n'avait presque plus de stocks le 11 mars, elle pourrait tout de même rencontrer des difficultés (cela semble être le cas par exemple pour une usine de mémoires flash de Toshiba). Mais nous sommes d'autant plus confiants que TSMC, avant même les annonces du 11 et du 12 avril, avait déjà assuré qu'il arriverait à faire croître son chiffre d'affaires de 20 % cette année, comme prévu, même si la tâche pour y parvenir devait s'avérer plus compliqué qu'anticipé.

Reste l'inconnue des coupures d'électricité au Japon. Mais nous faisons tout de même confiance aux Japonais sur le thème des priorités à gérer.

À quand les déstockages ?
L'industrie mondiale de l'électronique, suite à la période d'incertitude actuelle, dispose ou va disposer probablement d'un mois de stocks de composants « en trop » (sous forme de composants, de cartes non terminées, de cartes, ou même de produits finis en attente de livraison). Deux évidences : la phase de restockage actuelle va bien se terminer un jour, probablement avant fin juin (sauf pour les produits sensibles précités). Certains indicateurs montreraient même qu’elle l’est déjà chez les grands consommateurs! Les prix cesseront alors de monter et le marché du semiconducteur va retomber (ou est même en train de retomber) à un niveau quasi normal. Deuxième évidence, une phase de déstockage va revenir (bien avant le deuxième semestre) ; arrivera enfin sûrement une phase de baisse des prix, conséquence de la chute de la demande. Nous voyons toujours les besoins de semiconducteurs croître de 10 % à 12% cette année en nombre de pièces, mais nous estimons aussi que le déstockage risque d'atteindre 10 %… Peut-être également que les hausses de prix actuelles (il est vrai presqu’uniquement chez les revendeurs) seront compensées par des baisses équivalentes au deuxième semestre… La résultante finale pourrait donc s'avérer décevante pour l'industrie du semiconducteur en 2011.

JP Della Mussia (jpdmjp@yahoo.fr)


Ce que nous avions prévu… et la réalité.
Dans notre édition du 16 novembre 2010 (article « semiconducteurs : retournement de conjoncture vers février 2011 »), nous avions prévu que la pénurie se serait déjà bien affaiblie en février-ce qui s'est avéré juste- et que les déstockages seraient engrangés dans la foulée- juste également. Nous en avions déduit que ces déstockages seraient suivis de chutes de prix : cette phase n'a pas eu le temps de s'engranger. Du fait des événements, c'est l'inverse qui s'est produit, du moins chez les intermédiaires: nous prévoyons donc désormais ces déstockages et chutes de prix pour les semaines qui viennent, surtout en ce qui concerne les déstockages.

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